Aujourd’hui, je voudrais revenir sur une autre déclinaison de la traduction, la transcréation, encore trop méconnue et souvent confondue avec la traduction simple.
La transcréation… traduire, c’est trahir ?
“Transcréation” est un mot-valise entre « trans », pour translation, « traduction » en anglais, et création. En deux mots, c'est de la traduction créative !
On dit souvent qu’en traduction, il faut traduire le sens plus que les mots (c’est là que la traduction automatique pêche : si la source est fausse, la traduction le sera aussi), et c’est le cas. Mais parfois, traduire le sens n’a pas… de sens.
La transcréation intervient quand cela ne suffit plus : parfois, le sens ne fait plus sens, le texte source n’est pas pertinent tel quel dans la langue dite cible (→ dans une traduction allemand-français, l’allemand est la langue source et le français, la langue cible).
Adapter sa traduction au public cible
Prenons le cas d’un guide touristique rédigé en allemand et faisant la part belle au cliché du “Français béret-baguette-camembert”. Si la maison d’édition se propose de traduire le guide en français pour le vendre en France… ça risque d’agacer le lectorat plutôt que de l’amuser.
Dans ce cas de figure, traduire littéralement n’est pas une bonne solution. Mais alors, quoi ? On ne fait rien, on supprime ? C’est une solution, mais on peut aussi transformer le texte. En s’armant de créativité, on peut à la place écrire quelque chose qui serait attendu ou compris par le lectorat cible. Selon le contexte, cela peut être : ajouter une référence culturelle, des explications…
L’humour est un autre exemple typique, notamment parce que les références culturelles sont spécifiques et différentes d’une langue à l’autre et même d’une région linguistique à l’autre.
Pour ce genre d’adaptations, on comprend tout l’enjeu de faire appel à une traductrice ou un traducteur professionnel, spécialisé dans le domaine du texte : il faut, pour pouvoir “combler les trous”, trouver d’autres informations, connaitre les habitudes du public cible ou du lectorat, identifier les passages à modifier, conseiller son client ou sa cliente…
Rester fidèle à un texte volage ?
On a tendance à se dire que les textes sources sont parfaits, et que tous les problèmes, toutes les erreurs, sont des problèmes et des erreurs de traduction. Mais pas nécessairement.
Toute bonne traduction “corrige” la source quand une coquille se glisse. Par exemple
- un zéro en trop ou en moins
- l’auteur du texte qui confond sa droite et sa gauche
- un nom propre mal orthographié…
En général, on commence par vérifier auprès du client ou de la cliente qu’il y a bien une erreur, puis on corrige.
Mais que se passe-t-il quand l’auteur est visiblement passé à côté de son texte ? Quand tout est faux, mais que le client veut quand même “quelque chose” ? Eh oui, ça arrive.
J’ai par exemple dû traduire un article sur le miracle de Fanjeaux… qui expliquait que les Cathares étaient sortis vainqueurs de cette ordalie. Après avoir vérifié 56 fois pour être bien sûre de moi (je vis en Occitanie, je n’avais pas le droit à l’erreur !), j’ai signalé le problème à mon client. Et comme il voulait quand même du contenu et que je ne me voyais pas traduire cette erreur… En repartant du texte existant, j’ai réécrit un article beaucoup plus fidèle aux sources historiques.
On voit bien, avec cette anecdote, qu’il faut suffisamment de temps et de connaissances pour recréer quelque chose, car traduire tel quel, même en fournissant la plus belle traduction du monde, n’est vraiment pas une option.
Une étape marketing à ne pas négliger
Prenons un autre exemple, celui d’une entreprise qui souhaite vendre ses produits ou services dans d’autres pays. Cette entreprise a un super slogan, des idées marketing à foison… dans sa langue et sa culture maternelles.
Pensez ici à ces innombrables “tops” qui recensent des boulettes de communication interculturelle sur fond de traduction automatique (= par un logiciel) ou à la chaine… cela s’explique souvent parce que le facteur “transcréation” a été oublié dans l’équation. On en rit (les germanophones parleraient sûrement de Schadenfreude), mais parfois, les conséquences marketing sont désastreuses. Bien au-delà de ce qu’aurait coûté ce travail d’adaptation.
La transcréation, un budget et un temps de création à part entière
Car oui, parlons du nerf de la guerre : la transcréation prend plus de temps que la traduction simple. La créativité ne survient pas en un claquement de doigts.
Ainsi, un jour, on m’a demandé de traduire un texte marketing qui prenait la forme d’un poème ; certains mots commençaient par une lettre spécifique pour suivre le nom d’un produit, forme qu’il fallait reproduire en français. Le texte était très court, à peine une centaine de mots, donc la cliente s’attendait à un délai en conséquence (quelques heures) et comptait payer le prix d’une traduction simple (au mot). Sauf que… dans une traduction dite « simple », on traduirait l’idée contenue dans le texte, son sens, les mots disponibles en anglais. Une traduction simple ne consiste pas à chercher des mots qui riment, commencent par une lettre spécifique...
Dans cette commande, où le fond était aussi important que la forme, il n’était donc pas question de traduire une idée, mais de s’inspirer d’une idée pour créer un texte complètement différent, tant sur le plan de la forme que des mots employés. On est ici encore plus loin du mot-à-mot que d’habitude. Votre traductrice doit se faire transcréatrice, autrice, ou poète, et il faut parfois du temps pour trouver LA bonne idée (avec le lot de tâtonnements et de "bonnes idées de 3 heures du mat" que cela suppose). En cas de panne d’inspiration, on peut aussi faire un brainstorming avec son réseau de collègues, ce qui, là encore, prend du temps, même si les résultats sont généralement très bons.
- le délai d’une traduction standard n’aurait pas permis cet exercice
- la rémunération d’une traduction standard n’aurait pas couvert cet effort supplémentaire. Dans ce cas de figure, soit le ou la prestataire de traduction n’est pas payé, soit il ou elle se contente de traduire normalement ou de mettre le premier mot qui vient en tête, ce qui ne répond pas aux attentes marketing.
À l’instar des équipes marketing qui ne trouvent pas toujours leur idée en cinq minutes, la traduction nécessite un délai plus long pour ce genre de demande, ce qui a également un coût (ici, c’est plutôt un investissement), car ce le temps passé à élaborer des jeux de mots, trouver des synonymes, brainstormer, ne peut pas être consacré à autre chose.
Conclusion
Que retenir de tout ça ?
- Qu’il est important de choisir des traductrices et traducteurs spécialisées dans leur domaine, car elles auront plus de facilité à s’approprier les sujets (et repérer les erreurs).
- Qu’il faut du temps pour ce genre de missions : c’est pourquoi il est bon d’y penser en amont. Il vaut mieux laisser un peu plus de délai à la traduction ou transcréation, plutôt que se retrouver avec des catastrophes ou des textes inutiles derrière.
- Pour un résultat optimal, pensez à ce facteur et surtout, expliquez clairement vos attentes dès le départ à votre spécialiste, traductrice ou agence de traduction, pour éviter les déceptions et les malentendus. C’est généralement plus simple et moins coûteux de bien faire les choses du premier coup.
Dans un prochain article, je vais vous présenter une autre forme de transcréation bien particulière : la traduction en français inclusif !
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